Il se leva, fit quelques pas dans la salle. Il s’arrêta devant la porte qui menait au cabinet du médecin. C’était une porte vitrée. Il s’en approcha, pris d’une envie : l’ouvrir, passer de l’autre côté sans y avoir été invité. Au lieu de ça, il regarda à travers. Il distingua un couloir. Deux portes. L’une sur laquelle rien n’était marqué. Mais sur l’autre : une plaque. Il était presque sûr que le premier mot était « Dr ». Le second, le nom du docteur sans doute, commençait par un P.
Il se demanda si le docteur serait un homme ou une femme. Il préférait un homme. Avec les femmes, il se sentait gêné. Encore plus si elle était jeune. Et jolie. Oui, un homme, ce serait mieux, un vieux docteur à moitié chauve, un docteur à lunettes qui vous parle droit dans les yeux parce qu’il en a vu d’autres.
Un docteur comme son père.
Il se rassit, pencha la tête en arrière. Deux néons jetaient une lumière crue dans la salle. Les fixer lui donna un éblouissement.
Il n’avait pas pensé à son père depuis des mois. Peut-être même depuis qu’il était mort, l’année dernière. À cette époque, Julia passait son concours d’agent administratif. C’est lui qui s’occupait des gosses et de la maison. Ses journées se ressemblaient toutes : se lever, aller au boulot, rentrer, faire les devoirs, préparer le repas, coucher les enfants. Et là-dessus, un ami de son père appelle pour lui annoncer la nouvelle. Crise cardiaque.
Pas d’enterrement. Peut-être ça, le pire. Pas d’enterrement. De la pointe de sa chaussure, il dessina un trait sur le sol. La chaussure crissa. Il n’avait pas pu se rendre à Nice, là où son père avait pris sa retraite, organiser une cérémonie. Lui dire adieu correctement. Le vieux avait donné son corps à la science. Crise cardiaque. Crise cardiaque. Il avait l’impression que les mots s’étaient matérialisés dans la pièce. Semblables à des mouches, ils tournaient au-dessus de sa tête. Il aurait voulu pouvoir agiter un torchon et les chasser.
Parfois, il croisait des gens qui avaient été les anciens patients de son père. Vous n’êtes pas le fils du docteur Bergeret ? Qu’est-ce qu’il devient, le docteur Bergeret ? Ils avaient l’air de connaître son père mieux que lui.
Il l’imagina dans son appartement, au bord de la mer. Ils y allaient avec les gosses pendant les vacances d’été. Ça s’était passé au moment du repas. Ils mangeaient toujours du poisson, quand ils y allaient ; son père mettait autant d’ardeur à le cuisiner qu’il en avait mis dans la pratique de la médecine. Un jour, il s’était énervé après Paul qui avait dit que les rougets, c’était dégueulasse.
Crise cardiaque. Le corps. À la science.
De l’air… Il ouvrit la bouche pour respirer. L’air restait bloqué au niveau du ventre. Il posa la main sur son ventre, en plein milieu, et appuya. Comme s’il y avait là une masse qu’il pourrait déplacer. Elle remontait maintenant dans sa poitrine, la masse, s’arrêta près du cœur. Il la sentait, son rythme cardiaque s’accélérait, ça écrasait, là, à gauche, quelque chose pesait de tout son poids.
C’est rien. Détends-toi.
Il demanderait au médecin. Vite, qu’il arrive. Il se leva à nouveau ou plutôt bondit sur ses jambes. Il avait mal. Ne pas y penser. Trouve une occupation.
Il fixa le mur. Il était sale, noirci au-dessus des chaises. C’est la tête des gens, il pensa, la tête des gens qui l’a sali. Comment des têtes peuvent-elles salir un mur ? La masse dans le cœur revenait.
Il regarda la pendule. Elle affichait toujours neuf heures et demie. Il n’y avait rien à en tirer, elle était cassée. La masse revenait, vite.
C’est alors qu’il la vit, juste au-dessus de l’horloge.
Prochain épisode dans notre édition du 31 janvier
Passionnée par la littérature depuis toujours, Romane González l’enseigne aux lycéens tout en rédigeant une thèse sur le roman noir, son genre de prédilection. Élevée dans une famille de médecin et d’infirmières, elle met souvent en scène dans ses nouvelles des personnages de docteur… ou leurs patients.

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