Suivre son coeur

# 3 L’inconnu de la semaine précédente

Publié le 22/11/2018

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Laureline Maumelat

16 octobre 2018

Le mardi suivant, je rentrai tard de ma tournée matinale. Après une courte étape dans la maison que je louais à quelques minutes de mon cabinet, je me dépêchai de rejoindre Anne tout en avalant un sandwich.

La salle d’attente était pleine. Des gens toussaient, un bébé pleurait. La secrétaire me mit le planning sous les yeux et je constatai que je n’étais pas près de m’affaler sur mon canapé comme j’aimais à le faire le soir.

J’appelai M. Renard, mon premier patient. Cet homme portait bien son nom, c’était un filou de la pire espèce. Atteint de diabète, mais épicurien forcené, il avait des difficultés à se plier à une bonne hygiène de vie. Malgré ses résultats d’analyses catastrophiques, il me soutenait sans ciller qu’il suivait à la lettre mes recommandations. Après m’être fâché comme je l’aurais fait avec un enfant, je le libérai. Parfois, ma mission revenait à me battre contre des moulins à vent. J’avais des tas de patients semblables à M. Renard ; travailleurs, terriens, têtus, ne comprenant pas de quel droit je leur dictais leur conduite.

Cette année-là, nous bénéficiions d’un véritable été indien et j’ouvris les fenêtres pour profiter de la douceur automnale.

Sur le parking, avançant d’un pas rapide, je vis l’inconnu de la semaine précédente. Il portait une chemise bordeaux sur un jean, ce qui lui conférait une allure juvénile. Je m’empressai de me renseigner auprès d’Anne, mais elle n’avait aucun nouveau nom sur l’agenda.

J’invitai Mlle Sangla, une jolie rousse au nez rougi de s’être trop mouchée, à me suivre, au moment où l’homme pénétrait dans la salle d’attente. Aussitôt, il me sourit et ses yeux s’illuminèrent de joie.

J’admets que je passai la consultation de la jeune femme avec la tête ailleurs. Je songeai à cet énigmatique patient. Il y avait en lui un aspect familier et rassurant. Cependant, sa présence me rendait nerveux ; j’avais la sensation qu’il lisait en moi. Son regard amusé semblait dire : « Je sais des choses à ton sujet que tu ignores ».

Pourquoi était-il revenu ? Le dimanche précédent, au marché, j’avais interrogé quelques habitants, mais personne ne voyait de qui je parlais… pas même le boucher, qui se trouvait pourtant dans la salle d’attente le fameux mardi.

Un désistement de dernière minute me permit de glisser l’inconnu entre deux grippes. Je tentai d’échanger avec lui, même si je pressentais que ce serait vain. Il resta muet, mais sa mine demeurait extatique. Une fois que j’eus épuisé tous les moyens de communication, il recommença son manège.

Main sur mon torse, puis sur le sien, il me dévisagea de ses iris bleu pâle. J’eus alors le sentiment qu’il sondait mon âme. Quand je parvins enfin à me détacher de son regard inquisiteur, je m’attablai pour lui prescrire un électrocardiogramme, mais je ne connaissais toujours pas son nom.

Avant que je ne dise quoi que ce soit, il me paya la consultation en espèces et sortit de mon bureau sans prendre son ordonnance. Je lui demandai de m’attendre, il ne m’écouta pas. Le temps de rejoindre l’extérieur, il avait disparu. Comment pouvait-il être aussi rapide ?

Tout s’était passé si vite, j’avais omis de lui parler de la pierre bleue que j’avais conservée dans mon tiroir ; un lapis lazuli, d’après mes maigres connaissances en gemmologie. Dépité d’avoir été inutile une fois de plus, je réintégrai mon cabinet.

Je me rappelle avoir soupiré en voyant le second galet. Il était là, près de ma lampe en laiton. Rouge et mat, à peine plus gros que le premier.

Prochain épisode dans notre édition du 29 novembre

Passionnée de lecture et d’écriture depuis toujours, Laureline Maumelat a commencé, depuis quelques années, à participer à des concours de nouvelles, notamment sur le site Short Édition, avant de se lancer plus récemment dans la rédaction de textes longs. Elle se plaît à jongler avec différents genres, de la romance au contemporain, en passant par la fantasy.