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Dossier

Les scores d’évaluation en question

Faut-il se fier aux échelles ?

Publié le 20/03/2015
Faut-il se fier aux échelles ?


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Test de Fagerström, échelle EVA, MMSE, IMC… Les médecins font souvent de la clinimétrie sans le savoir car le terme englobe les scores, les tests, les grilles et les échelles d’évaluation mais aussi les questionnaires qui transforment les informations cliniques et biologiques en critères aboutissant à des indicateurs, la plupart du temps chiffrés. Ce sont des procédures d'aide au diagnostic, à la prise de décision thérapeutique et souvent à la prescription.

Pour la prise en charge de l’asthme, de la douleur, de l’ostéoporose, de l’acné ou du risque cardiovasculaire, les tests d’évaluation – « outils » s’appuyant le plus souvent sur des études anglo-saxonnes et en milieux hyperspécialisés – se sont multipliés depuis une vingtaine d’années dans la quasi-totalité du champ de la santé. Ils seront d’autant plus utilisés en pratique courante qu’ils sont le moins chronophages possible, perçus comme utiles, conçus et validés en soins primaires, et prenant en compte les contraintes d'exercice.

 

Car si la plupart de ces outils ne sont pas applicables en routine (EPICES, scores complexes d’évaluation), d’autres le sont bel et bien : le MMSE dans la maladie d’Alzheimer, le Fagerström pour le tabac, le Gina dans l’asthme, le Mac Isaac dans l’angine, EVA dans les douleurs nociceptives, HAD et Hamilton dans l’anxio-dépression, etc. Cependant, il ne suffit pas que le test soit connu, simple ou disponible pour être exploité. Car même lorsque les médecins sont rémunérés pour l’employer, comme dans le cas de de l'échelle de dépression de Hamilton tarifée à 69,12 € par l’Assurance Maladie, celle-ci reste peu utilisée.

« Tout dépend de la difficulté de l’évaluation médicale et du contexte », observe le Dr Jean-Luc Gallais, directeur du conseil scientifique de la Société Française de Médecine Générale (SFMG). Ainsi, le MMSE est lui, utilisé couramment pour le difficile repérage des patients Alzheimer en fonction du stade car les médecins ont besoin de scorer la situation clinique pour préciser le niveau d'attribution de l'APA.

Autre intérêt de ces échelles d’évaluation : la reproductibilité des données médicales sur la durée, à des fins de comparabilité interindividuelle pour un suivi de la pathologie, via l’évolution des indicateurs. Mais cela ne va pas sans problème. Ainsi, dans le domaine de l’évaluation cognitive, il existe de nombreux tests validés, mais « aucun ne donne satisfaction à lui seul », estime le Dr Nicolas Postel-Vinay(unité d'hypertension artérielle, hôpital européen Georges-Pompidou, en charge de l’éducation thérapeutique et de la télémédecine). « Les uns sont complets mais longs et nécessitent une formation (MMSE par exemple.), d’autres sont des autotests simples mais délicats à coter pour discriminer les patients. Par exemple, le Test Your Memory (TYM test), récemment validé en France est plus un test de repérage que de diagnostic. »

Une aide à la décision

Mais il ne faut pas perdre de vue que, les échelles et les scores peuvent avoir des utilisations différentes pour les soins, la recherche ou l’évaluation. Les échelles d’évaluation de la douleur notamment, tout en ayant une vocation didactique, peuvent orienter vers la puissance de l’antalgique à recommander. Il convient donc pour chaque test, de bien distinguer son intérêt dans les essais cliniques et son intérêt dans la pratique quotidienne.

Intérêt collectif ou individuel ?

Pour Nicolas Postel-Vinay, un des grands avantages des scores, questionnaires et échelles est, en effet, à rechercher du côté du collectif : « Le score possède un impact global, pertinent pour les essais cliniques car permettant de répartir les individus en fonction de niveaux de risque ». De plus, en transformant des variables cliniques en données numériques, ces outils visent à réduire la subjectivité et la variabilité de chacun des observateurs et « permettent la comparabilité et traitement des résultats, développe Jean-Luc Gallais. Par ce biais, la clinimétrie participe à la conception de l’Evidence Based Medicine et à la traçabilité des

pratiques ».

Concernant la clinique, ces outils permettent aussi de parler le même langage pour la prise en charge des patients. « Ce langage commun est nécessaire pour le suivi des patients, dans les dossiers médicaux. Chez ceux qui les emploient et qui ont été formés, préalable indispensable, cette évaluation peut aussi être utile, dans le cadre, de plus en plus fréquent, du travail multidisciplinaire?», analyse le Dr Postel-Vinay. Enfin, les scores d’évaluation gériatrique, comme les scores de dépendance, ont un intérêt en pratique, pour la gestion de soins au niveau de l’établissement de santé.

Des outils incontournables ?

Au-delà de la quantification de symptômes cliniques, les tests ont aussi des répercussions dans la relation médecin-patient. Ainsi, selon Jean-Luc Gallais, les échelles d’évaluation de la douleur permettent de prendre en considération ce symptôme dont se plaint le malade, de le reconnaître.

Ces tests peuvent aussi servir de guides d’entretien structuré, de support de communication où, au travers du questionnement ciblé, le médecin dispose de critères facilitant un recueil plus systématique d’informations utiles. Pourtant cette exhaustivité peut réclamer trop de temps et poser des difficultés de mise en oeuvre si le patient doit remplir le questionnaire lors d’une consultation dont la durée est limitée. « Rempli avant la consultation, en revanche, il peut faire gagner du temps, en jouant son rôle de "reminder ” qui permet de ne pas passer à côté d’un élément précis, ajoute le Dr Postel-Vinay. D’autant que la précision des questionnaires permet souvent un entretien de bien meilleure qualité qu’une simple question isolée. C’est ce qui se passe notamment avec les échelles d’observance, telle celle de Morilsky : au lieu d’une simple question sur l’oubli éventuel des médicaments, des questionnaires de huit questions permettent de mieux cerner le problème tout en développant le dialogue avec le patient. »

Ne pas faire disparaître le patient derrière le chiffre

De toute façon, « un résultat de score isolé n’a pas de sens, souligne le Dr Gallais. La question essentielle est de savoir à qui et pourquoi l’appliquer et d’avoir en tête que le score comme les seuils n’est qu’un élément, un facteur, un déterminant parmi d’autres. Sinon le risque est grand de faire disparaître le patient derrière un chiffre, une grille. L'histoire des divers scores de risque cardiovasculaire est un cas d’école car ils ont conduit à surestimer les risques pour justifier des prescriptions ». Idem pour les tests de glycémie où le mot d’ordre « sous le 7 » a été revu et l’objectif glycémique ajusté aux comorbidités du patient, sous peine d’être iatrogène. Il faut donc savoir placer le curseur entre la standardisation des pratiques et le risque de transformation en une variable immuable d’un sujet dans une dynamique de changement…

* www.automesure.com