VIES DE MÉDECIN

Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses

Publié le 10/06/2014
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Il y a des discussions qui vous changent une vie. Le Dr Franck Le Gall se souvient de celle qu’il a eue, lors d’une réception du nouvel an 1993, avec le médecin de l’équipe de France de l’époque, le Dr Pierre Rochcongar, son chef de service au CHU de Rennes.

L’objet du dialogue entre le mandarin et son interne ? Proposer à ce médecin de 28 ans de le rejoindre à Clairefontaine pour s’occuper des jeunes du centre de préformation. « Il se distinguait par son sérieux, ses compétences, sa passion pour le sport en général et le football en particulier », se souvient le Dr Pierre Rochcongar. L’amour du ballon rond tient en effet presque de la caractéristique génétique chez ce fils de footballeur professionnel : dans les années cinquante, Alphonse Le Gall a joué à Rennes puis Marseille, Angers et Bordeaux avant de devenir kinésithérapeute. « Nous avons vu de grands joueurs Angevins venir à la maison comme Jean-Marc Guillou. Mon père a une armoire remplie de souvenirs de ses exploits. Ma sœur, mes deux frères et moi, nous avons baigné là-dedans », explique Franck Le Gall qui a lui même tapé dans le ballon quelques mois en troisième division. Dès la première année de ses études médicales, il hésite entre médecine du sport et rhumatologie. La rhumatologie étant trop axée sur l’inflammatoire, c’est la médecine du sport qui l’emporte car l’accent y est mis sur la mécanique.

Une génération de joueurs passée au crible

Lorsque Franck Le Gall pose son sac à Clairefontaine en octobre 1993, le centre n’a que cinq ans d’existence et beaucoup de choses restent à faire : « On a mis en place un centre de rééducation, nous explique-t-il. Toutes mes matinées étaient consacrées aux consultations externes de patients sportifs, et je m’occupais des jeunes l’après-midi. » À côté de cela, il donne des cours de traumatologie et de premiers soins aux entraîneurs qui doivent passer leur diplôme. C’est ainsi qu’il côtoie Rudi Garcia (actuel entraîneur de l’AS Roma) et René Girard qu’il retrouvera des années plus tard à Lille. C’est aussi à cette époque que le Dr Le Gall écrit avec Christopher Carling, de l’université de Liverpool, une série d’articles et de livres sur la rééducation du sportif blessé et sur le football et l’enfant, nourri par ses observations sur les 250 joueurs de 13 à 16 ans qu’il voit défiler en quelques années. « C’est une tranche d’âge passionnante, explique-t-il, il y a plein de choses à évaluer, et à l’époque rien n’avait été fait. J’ai travaillé avec des entraîneurs qui étaient très proches du médical et qui avaient envie de savoir, d’entraîner et de progresser. » Il écrit également sur d’autres sujets comme la rupture du ligament croisé chez la femme sportive, chez qui ce type d’accident est trois à quatre fois plus fréquent que chez les hommes, ou la pubalgie. Dans ses travaux sur la récupération et la reprise de l’entraînement après une blessure, il fait tout pour promouvoir l’implication du médecin dans les premières foulées sur la pelouse et surtout dans la stratégie qui va amener à la récupération complète de ses capacités physiques : « Nous les médecins, nous étions formés à faire un diagnostic, mais nous déléguions la suite des soins au Kiné. Nous n’étions pas formés à l’époque à la physiologie de l’effort pour faire de la réadaptation sur le terrain », se rappelle-t-il.

Cette importance accrue de la médecine dans le football ne se fait pas sans l’implication croissante des entraîneurs. « Le médical est arrivé très tard dans le football, explique René Girard, On avait un peu de mal à faire accepter cette idée à nos dirigeants. » Quelle que soit la blessure, la méthode Franck Le Gall consiste à s’isoler avec le joueur pour établir un diagnostic et un programme de soins, mais à ne rien cacher à l’entraîneur qui est partie prenante dans le rétablissement du joueur. Ce dialogue permanent n’empêche pas soigneurs et entraîneurs de garder leurs domaines réservés, même si parfois, la passion pousse à faire du zèle : « Pour plaisanter, je lui demande souvent dans quel système on devrait jouer. Je sais que ça le démange toujours de discuter tactique », sourit René Girard.

À partir de 1997, tout s’enchaîne : on lui confie la santé de l’une des équipes de France Junior. Il est médecin de l’équipe de France U19 de Christian Damiano et Jacques Crevoisier (la génération de Djibril Cissé et Philippe Mexès) championne d’Europe en 2000. En 2012, sa nomination au poste de médecin de l’équipe de France ne surprend personne : « Je me suis même demandé pourquoi il n’avait pas été nommé plus tôt », ajoute René Girard. Plus d’une génération a grandi sous les yeux de Franck Le Gall. Thierry Henry, Nicolas Anelka, ou encore Karim Benzema ou Blaise Matuidi sont passés par Clairefontaine alors qu’ils avaient 13 ans voire moins. « Ils voient ma bobine depuis longtemps », plaisante le Dr Le Gall.

Ce ne sont pas des patients lambda

Évidemment, le footballeur de ligue 1 n’est pas le patient lambda, mais peu importe : il faut s’efforcer de le traiter comme n’importe qui d’autre, en privé, en évacuant les éléments de subjectivité. « Ils sont vite perturbés quand il y a les copains qui peuvent les charrier : c’est du cinéma ! Tu veux pas jouer ! Raconte Franck le Gall. Quand on rouvre la porte après la consultation, il faut avoir le plus de convictions possibles, du feeling et une stratégie. » Si le travail en sélection nationale n’a pas beaucoup changé en 20 ans, celui en club s’est compliqué. René Girard en fait le constat : « Les joueurs ont de plus en plus leurs propres kinésithérapeutes ou préparateurs physiques, ce qui complique notre travail. » Pour autant, Franck Le Gall pense que les enjeux ne sont pas financiers mais sportifs : « Les joueurs veulent jouer ! » résume-t-il. Certains joueurs internationaux suivent un rythme d’enfer entre 50 et 55 matchs par an. « S’ils veulent durer derrière, ils ont intérêt à être très rigoureux dans leur hygiène de vie », poursuit le Dr Le Gall, ce qui implique des suivis de masse grasse tous les 15 jours.

Prise de risque minimum pour le mondial

La « liste des 23 » est maintenant connue. Comme tout ses prédécesseurs Franck Le Gall a participé aux choix en fournissant un avis médical à partir des infos glanées auprès des confrères des clubs. Pas question de prendre le moindre risque : « Il faut qu’ils puissent tous jouer dès le premier jour ! » affirme le médecin qui veut surtout éviter de gérer des retours de blessure en pleine compétition : « On ne sait jamais dans quel état on récupère un joueur. On risque d’aller plus vite que la musique et mal évaluer la situation », Une position illustrée cette année par l’abandon au dernier moment de l’attaquant Franck Ribéry.

Nous sommes donc prévenus : on ne sait pas si nos joueurs seront les meilleurs, mais ils auront une santé solide… Au moins lors du premier coup d’envoi.

Damien Coulomb
En complément

Source : Le Quotidien du Médecin: 9333
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