Vies de médecin

Virginie Maincion : soigner mais pas seulement

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Publié le 07/03/2019
Maincion

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Crédit photo : b. girard

Place Arnaud Bernard, en plein cœur de Toulouse, les façades ocre et roses des typiques maisons toulousaines se tiennent en rang serré. Mais derrière la carte postale figée de « village du sud », ce quartier engagé et populaire bouillonne entre vie associative, vendeurs à la sauvette et petits trafics.

Chanté par Claude Sicre (le chanteur des Fabulous Troubadour), Arnaud Bernard a accueilli des générations de populations immigrées et souvent fragilisées au gré des grands déplacements. C’est ici, sans surprise, que la Case de Santé, ancienne boulangerie du quartier transformée en centre de santé communautaire, a ouvert ses portes en 2006, sous l’impulsion d’un jeune interne, Charles Hambourg.

Ici aussi que Virginie Maincion, généraliste de 38 ans, a posé ses valises quatre ans plus tard. Originaire de Tours, la jeune femme a grandi à la campagne dans une famille où la santé était déjà au cœur des préoccupations, avec un père vétérinaire et une sœur sage-femme. « Certainement que j’ai choisi de faire médecine influencée par le modèle familial et puis j’ai aussi été très marquée plus jeune, par la disparition d’un être cher atteint du sida. Par contre je n’avais pas de profil militant au départ », analyse-t-elle.

Au-delà de la pathologie

Après un parcours classique d’externat à Tours, elle se pose très vite mille questions sur la façon d’exercer. « J’avais envie de m’occuper des gens plus largement que par le seul prisme de la pathologie, de m’intéresser à leur parcours de vie, leur composante psychologique… » Des stages chez des praticiens puis aux urgences, en pneumopédiatrie, aux urgences gynécologiques… finissent de la convaincre qu’elle n’est pas faite pour exercer en solitaire dans l’environnement feutré d’un cabinet de centre-ville. À la fin de ses études, convaincue que la médecine générale ambulatoire a ses limites, Virginie Maincion cherche un nouveau modèle pour exercer et tombe par hasard, sur internet, sur les activités de la Case de Santé à Toulouse. « Je les ai contactés immédiatement, et coup de chance, ils cherchaient à ce moment-là un médecin pour assurer un remplacement. »

Nous sommes en 2010 et la jeune médecin qui pousse la porte de la petite maison de la place Arnaud Bernard, pour quelques semaines, n’en repartira pas. « J’ai découvert un univers bien éloigné de la médecine libérale, il n’y a pas un ou des médecins, mais une équipe pluridisciplinaire, médecins, psychologue, infirmier, médiateurs en santé qui travaillent ensemble. D’ailleurs toutes nos journées commencent par une réunion d’échanges sur les patients du jour. » Ici pas une blouse blanche à l’horizon, la prise en charge des usagers est globale, avec à côté du centre de santé, un pôle « santé droit ». Si certains prennent rendez-vous pour un suivi médical, d’autres participent à des ateliers de prévention du diabète, un accompagnement au sevrage du tabac ou de l’alcool, ou viennent chercher des informations sur l’accès aux soins… « Ce qui m’a plu d’emblée, c’est la rigueur, la capacité à faire les choses sereinement, et surtout à soigner différemment. »

Des tableaux cliniques compliqués

En 2016, 2 274 personnes ont été prises en charge à la Case de santé, dont 1 590 dans le cadre de consultations au sein du centre de santé, un chiffre qui ne cesse d’augmenter. 75 % de ces usagers sont identifiés comme précaires et lorsqu’ils viennent pour la première fois, bon nombre d’entre eux ne se sont pas préoccupés de leur santé depuis plusieurs années, d’autres n’ont pas été suivis depuis qu’ils ont quitté leur pays d’origine. « Cette précarité donne lieu à des tableaux cliniques et des pathologies compliquées mais ici nous ne pratiquons pourtant que la santé communautaire, basée sur des entretiens motivationnels avec les patients puis des prescriptions raisonnées. Le but recherché est d’aider les usagers à redevenir acteurs de leur santé. »

Dans cet univers fragile, la prise en charge des patients se fait aussi en lien avec la CPAM et les réseaux de soins en place en Occitanie sur les thèmes de l’IVG médicamenteuse, la psychiatrie, le handicap, les maladies chroniques… Au bout de quelques années, la satisfaction des soignants, est réelle. C’est le cas cet après-midi-là lorsque Paula* toque à la porte.

Soignée depuis plusieurs années à la Case de Santé, elle vient d’obtenir un titre de séjour dans le cadre du droit au séjour pour raisons médicales. Un sésame acquis, grâce au soutien des équipes de la Case qui informent aussi les patients sur leurs droits (ou leurs droits potentiels). « Vous n’imaginez pas le parcours du combattant que cela a été », souffle Virginie Maincion, qui après une longue étreinte, propose à Paula d’organiser un goûter le lendemain pour fêter cela. Ici les médecins travaillent en réseau, avec ce qu’ils appellent « le droit commun », mais, précisent-ils, « sans jamais se substituer au droit commun », et en quelques années ils se réjouissent de voir la situation de certaines familles s’améliorer, les personnes s’insérer et continuer de fréquenter la Case de santé.

La peur de « ne pas assez bien faire »

L’exercice au sein d’une structure associative et communautaire, comme la Case de santé, questionne les médecins en permanence et va bien au-delà de l’investissement déjà très élevé des praticiens libéraux. « Au quotidien et dans mes consultations, j’ai toujours peur de ne pas faire assez bien les choses, mais si j’allais ailleurs, il y aurait une telle perte de sens que je n’arrive pas à l’imaginer. » Pour garder leur énergie, Virginie Maincion et ses confrères se forment et échangent en permanence au quotidien sur leurs pratiques.

La Case de santé qui a fêté ses dix ans d’existence en 2016 semble quant à elle être victime de son succès. Au point que pour faire face à l’afflux constant d’usagers, la mairie de Toulouse réfléchirait même à soutenir l’ouverture d’une deuxième structure dans un autre quartier.

* Le prénom a été modifié


 

Article initialement publié le 10 juillet 2017

 

 

Béatrice Girard

Source : lequotidiendumedecin.fr
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