Vies de médecin

 Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau

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Publié le 27/10/2016
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Crédit photo : PATRICE JAYAT

En octobre 2012, Baptiste Beaulieu, jeune interne en médecine, décide de créer un blog (www.alorsvoila.com), pour raconter son quotidien aux urgences de l’hôpital d’Auch (Gers). Le journal « Sud-Ouest » rapporte l’initiative dans un entrefilet qui tombe sous les yeux de la directrice éditoriale du Monde.fr. Séduite par ce blog plein d’humanité, d’humour et d’indéniables qualités littéraire, elle lui accorde la Une de son site.

Dès lors, des milliers, puis des millions de lecteurs se passionnent pour les chroniques du jeune médecin. Les éditeurs déboulent et en 2013, un recueil est édité chez Fayard, puis traduit en 15 langues. Deux ans plus tard, un premier roman voit le jour, puis un second, tout récent : « La ballade de l’enfant gris ».

Ballotté par ce maelstrom littéraire, Baptiste Beaulieu garde les pieds sur terre, bien ancrés dans sa vocation médicale : il a vissé, en juin, sa première plaque de généraliste.

Médecin ou journaliste

« Enfant, je voulais être médecin ou journaliste », avoue-t-il. Ce jeune homme discret, issu d’une famille toulousaine modeste, a longtemps balancé entre ces deux mondes qu'il a fini par réunir dans son blog.

Adolescent passionné de littérature, Baptiste Beaulieu dévore romans de science-fiction, de Fantasy aussi bien que la collection Gallimard Poésie, les nouvelles de Maupassant ou les romans de Houellebecq… jusqu’au choc de sa rencontre avec Fernando Pessoa. Parallèlement, il avoue sa « fascination pour les mécaniques du corps humain » et son désir « sans doute narcissique » d’aider les autres.

Après le bac, il choisit la Fac de Médecine de Toulouse plutôt que la prépa littéraire. Mais, avec ces études, débute une période qu’il qualifie de « difficile et culturellement pauvre » qui l’oblige à s’éloigner de la littérature et à s’interroger sur la distance imposée par rapport au corps des patients.

« Une fois par mois, j’allais voir une psy pour pleurer »

En seconde année, les cadavres marqués sur le front pour la dissection, le choquent. Il se refuse à voir le patient comme un morceau de viande : « Je voyais un mort pour la première fois. J’ai trouvé cela violent. Le profeseur d’anatomie m’a regardé avec de gros yeux comme si j’étais une sorte de Che Guevara. J’ai ressenti ensuite la même violence lors mon internat, face à des choses auxquelles je n’étais pas préparé, comme la mort d’une enfant. Ce jour-là, j’ai roulé sur la rocade en pleurant, je suis allé prendre un café chez mes parents… ensuite, une fois par mois, j’allais voir une psy pour pleurer. Je ne sais chez qui elle allait pleurer à son tour… »

Puis ce fut la création du blog « Alors voilà » : « L’idée a germé lorsque je suis moi-même tombé malade. Je suis passé du côté du patient que l’on renvoie dans les cordes, de l’autre côté de la barrière. » Avec ses chroniques quotidiennes, il raconte les urgences, les hommes et femmes qui s’y croisent, la comédie humaine de l’hôpital et surtout le fossé entre soignants et soignés. Un fossé qu’il ne cesse de vouloir combler à force d’empathie et d’humanité.

« Ce n’est pas une vision isolée de la médecine, précise-t-il. De nombreux confrères partagent ma sensibilité. Certes, un médecin peut très rapidement basculer dans une forme d’indifférence qui protège. C’est justement ce que je souhaite éviter. » Quand on lui suggère qu’il a peut-être trop d’empathie, Baptiste Beaulieu rétorque : « Je m’en fous, cela m’aide à mieux soigner les gens ! L’empathie, c’est faire du chemin à la rencontre de l’autre, accueillir son émotion. »

Six millions de lecteurs

Émouvant, drôle, détonnant, son blog dépasse les 6 millions de lecteurs. « Un seul médecin m’a dit « ce qui se passe à l’hôpital doit rester à l’hôpital », précise-t-il. Les autres ont eu une tout autre réaction. Beaucoup sont venus vers moi me parler de leurs difficultés. Un médecin chef des urgences, colosse rassurant, très compétent en interventions, m’a raconté un accident de voiture et s’est effondré en larmes. Cet accident avait eu lieu il y a 30 ans ! »

En 2013, les chroniques de Baptiste Beaulieu deviennent un livre : « Alors voilà : les 1 001 anecdotes des urgences » (Fayard). En 2015, le jeune médecin publie son premier roman « Et vous ne serez plus jamais triste » (Fayard) qui reçoit le prix Méditerranée des lycéens : « C’est une grande fierté, car les lycéens ne trichent pas, explique-t-il. S’ils n’aiment pas ils ne lisent pas. »

Ente temps, Baptiste a quitté l’hôpital pour effectuer des remplacements, avant de visser sa plaque dans un cabinet de médecine sociale de Midi-Pyrénées où il soigne travailleuses du sexe, toxicomanes, victimes de violences conjugales…

Colère et révolte contre les injustices

Là, cet homme doux, avoue sa colère quand parfois il voit repartir une femme au bras de son bourreau, sa haine viscérale de l’injustice faites aux plus faibles, aux minorités sexuelles (voir encadré) ou raciales : « J’ai une sœur noire et j’ai conscience d’être un privilégié, car homme et blanc… J’avoue avoir peur pour la société demain. Je crois que la paix est plus importante qu’avoir raison. » Passionné par les questions de spiritualité, croyant, mais ne pratiquant aucune religion, il regrette que notre monde propose si peu de choses « verticales » à une jeunesse en quête d’absolu.

Dans son tout nouveau cabinet médical, Baptiste Beaulieu éprouve aussi la solitude du généraliste : « Les urgences me manquent, avoue-t-il, pour cette circulation d’humanité qui se noue dans un temps aigu, pour la faculté incroyable de rire pour exorciser les drames… »

Pour l’heure, Le Dr Beaulieu continue de bloguer (lequotidiendumedecin.fr a relayé récemment une vidéo dans laquelle il expliquait avec émotion « les retards » des médecins) et poursuit sa route, toute en humanité, fermement appuyé sur ses deux outils : stylo et caducée.

Patrice Jayat

Source : Le Quotidien du médecin: 9529
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