Vies de médecin

Jean Abitbol : la voix des autres

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Publié le 02/08/2017
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Crédit photo : Olivier Marty/ Allary Editions

« Quelle est la différence entre Dieu et un chirurgien ? Dieu ne s’est jamais pris pour un chirurgien ! »

Jean Abitbol éclate de rire. Un rire franc et généreux. Ce chirurgien ORL et phoniatre, bardé de diplômes et de décorations – ils tapissent un pan de mur de son bureau – et dont nombre de patients sont des stars – photos et dédicaces flatteuses de Charles Aznavour, de Pierre Perret ou de Céline Dion occupent une autre partie de mur, adore ne pas se prendre au sérieux. S’il arbore fièrement sa légion d’honneur, il se défend bien d’y « prendre goût ».

Ce pionnier de la chirurgie au laser du larynx par voie endoscopique partage son temps entre ses consultations dans le 16ème arrondissement de Paris, ses interventions à la clinique Blomet et ses participations à des congrès et colloques en France comme à l’étranger. Il avoue avoir besoin d’une poignée d’heures de sommeil pour être en forme. C’est à l’aube qu’il troque les ciseaux Metzembaum pour la plume. Mais l’auteur de l’« Atlas de la chirurgie de la voix » (1995), de « L’Odyssée de la voix » (2005) et récemment du « Pouvoir de la voix » (2016) n’a pas tout de suite pensé à cette spécialisation.

Un soir de Noël 1978...

C’est un soir de Noël 1978, de garde aux urgences de l’hôpital d’Amiens, que l’interne en chirurgie générale accueille une femme en détresse respiratoire souffrant d’une fracture de la mâchoire et du larynx. Pas le choix : première trachéotomie. Et premier questionnement : l’opérée reparlera-t-elle ? Les dés sont jetés. La patiente retrouvera sa voix et Jean Abitbol trouvera sa voie : l’otorhinolaryngologie.

Il arrive, en 1979, à l’hôpital Foch à Suresnes en même temps que le laser. Ces deux-là ne vont plus se quitter et évoluer ensemble. Mais l’histoire commence bien avant…

Jean Abitbol donc entend des voix. Ce n’est pas nouveau. Cela a commencé tout petit. Né à Casablanca le 15 avril 1946, il s’installe avec sa famille à Paris en 1948. Jeannot a 2 ans. On en entend déjà bien des choses à cet âge-là. Les voix « de velours » de Charles et Lisa, ses parents et toutes celles, bigarrées, avec peut-être un cheveu sur la langue, des clients du salon de coiffure familial près de la gare du Nord. Shampoings, coupes, brushing : Charles et Lisa ont des mains d’argent… et un cœur d’or : on vient là aussi pour être bichonné, requinqué ou simplement écouté. Le petit Jean apprend l’empathie. Très vite, l’enfant d’une dizaine d’années le sait, il sera médecin : « Pour donner. Pour réconforter. »

S’ensuit une scolarité impeccable au lycée Charlemagne, même s’il éprouve des difficultés à supporter la voix « terriblement aiguë » d’un professeur qui se vengera sur un bulletin scolaire : « Sèche parfois le bistrot pour venir en français. » Jean Abtibol s’en amuse encore. Les vacances scolaires se déroulent à Casablanca. Il y a l’océan et, tout près, une piscine. La natation va devenir une ligne de conduite et un savoir-être. « La compétition apprend des choses extraordinaires, explique le médecin, sportif de haut niveau en 100 mètres brasse et papillon, l’esprit de compétitivité, à se dépasser, l’égalité – on est tous égaux sur un plot de départ – et, c’est primordial, elle apprend à savoir perdre. »

Jean « gagne » néanmoins le bac et va rejoindre pour quelques mois son oncle Michel, parti s’installer à New York avant la guerre. Un champion de coiffure et « un homme exceptionnel » qui refusera de donner un sou d’argent de poche à son neveu : « Mon petit, ce qu’on veut dans la vie, on ne l’attend pas, on va le chercher. » Caddie de golf la journée, Jean pourra financer ses soirées dans les clubs de jazz new yorkais. Les yeux du chirurgien brillent à l’évocation de ses souvenirs. Tout s’est construit là…

Un « passeport santé » dans les bassins

Jean Abitbol nage toujours une heure au « Racing » en sortant du bloc opératoire, son « passeport santé ». À 70 ans, l’éternel explorateur des mystères de la voix pète le feu et va chercher connaissances et reconnaissance jusqu’au bout de la planète. Bombay, Buenos Aires, Salzbourg, San Diego ou Mouans-Sartoux, Jean Abtibol participe à au moins huit congrès par an. Ses recherches, tout à la fois scientifiques, culturelles et artistiques sur les cordes vocales, lui permettent d’exposer sur les limites de la chirurgie de la voix comme sur le secret des castrats. Infatigable, il met un point d’honneur à être toujours « up-to-date ». Avant tout pour ses patients.

À Paris, Cynthia, sa fidèle secrétaire depuis dix ans, jongle avec l’agenda de ce patron volant mais épatant. Chaleureux, rassurant et toujours de bonne humeur, dit-elle, le spécialiste de la voix n’a jamais un mot plus que l’autre. Altruiste aussi. Il ne faut pas plus de 48 heures pour avoir un rendez-vous, et ce, que vous soyez Woody Allen, Liza Minnelli ou un simple quidam enroué. Jean Abitbol ne soigne pas une angine, un œdème ou un cancer des cordes vocales. Il soigne des gens à qui il dit : « Appelez-moi plutôt pour rien que pour quelque chose. »

Cette conception de la médecine, c’est l’héritage précieux d’un « médecin de campagne avec une belle sacoche en cuir », Charly Presgurvic, à Donnemarie-Dontilly (Seine-et-Marne). Dès sa cinquième année de médecine, Jean effectua de nombreux remplacements chez ce généraliste pétri de bon sens et d’humanité qui commençait par guérir les gens en leur serrant la main et en prenant des nouvelles de leur famille. « On approche un patient dans l’intégralité de son contexte, de son environnement et cela permet souvent d’éviter le bistouri », explique aujourd’hui le chirurgien dont un tiers des patients ont des pathologies dues à des problèmes psychologiques ou des chocs émotionnels.

Car on reste sans voix de la même façon qu’on en a plein le dos… Notre voix est le reflet de notre personnalité. Jean Abitbol a la voix déterminée, joyeuse et chaleureuse. Qui s’enflamme quand il évoque les « deux choses les plus importantes de [sa] vie », Patrick et Delphine, ses enfants. Tous deux sont médecins et sportifs et le cœur sur la main. Patrick, ORL, partage le cabinet médical avec son père depuis six ans. C’est le Pr Frédéric Chabolle, chef de service à l’hôpital Foch, qui a dit à Jean : « Ton fils a autant de savoir-faire que toi, mais il le fait moins savoir ! »

Les professionnels de la voix – chanteurs, comédiens, avocats, politiques…, les connaissent bien en effet les compétences de Jean Abitbol. Sa patte chirurgicale, son oreille musicale… Il est surtout l’un des précurseurs de l’exploration dynamique vocale, technique permettant grâce à un vidéo-fibroscope de « regarder » la voix. Une caméra, introduite par la fosse nasale et donc n’entravant pas les mouvements de la bouche, filme les deux cordes vocales en action à 4 000 images par seconde. « C’est prodigieux, s’exalte le médecin, dans les années 80, c’était 25 images par seconde ! » Depuis plus de trente ans, Jean Abitbol a rencontré des larynx remarquables, compris la voix cachée des ventriloques ou dépisté des pathologies vocales jusque-là mal connues. Il a fait une vie de sa carrière et sa passion est intacte. Il le dit tout bas, il travaille à un nouvel ouvrage, le plus merveilleux des sujets : la voix des femmes.

Article initialement publié le 30 janvier 2017

 

Valérie Bouvart

Source : lequotidiendumedecin.fr
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