La santé des médecins

Dr Jean-Marcel Mourgues (CNOM) : « Aujourd'hui, les jeunes médecins sont tout sauf insouciants »

Publié le 29/03/2016
Mourgues

Mourgues
Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : La Grande Consultation mise en place par l’Ordre a été un succès avec 35 000 médecins participants. Est-ce cela qui a motivé la mise en place d’une enquête spécifique sur la santé des jeunes médecins ?

Dr JEAN-MARCEL MOURGUES : Le compagnonnage est l’une des missions principales de la commission Jeunes Médecins du CNOM. Même si nos jeunes confrères sont encore en formation et qu’ils ne sont pas encore tous inscrits à l’Ordre des médecins – contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays européens –, nous les considérons déjà comme faisant partie de notre communauté. C’est à ce titre que nous souhaitons leur apporter notre soutien, au sens d’une pleine solidarité confraternelle.

Il y a quelques mois, au sein de la commission des Jeunes Médecins, nous avons décidé de travailler avec les syndicats représentatifs en favorisant une enquête sur l’état de santé du jeune médecin. Cette enquête était aussi en droite ligne avec un travail entrepris par la commission nationale permanente, la CNP. La jeune génération est en effet fortement impactée par des problématiques de santé physiques et psychologiques.

Nous avons donc élaboré, début 2016, un questionnaire transversal sur différentes variables de santé qui a été porté de façon collective par tous les intervenants. Nous avons choisi de proposer cette enquête en étroite collaboration avec les structures des jeunes étudiants et des jeunes médecins, enquête destinée au plus grand nombre des jeunes dès la PACES réussie et jusqu’à leur première inscription. Nous avons visé une génération d'une quinzaine d’années environ.

Le questionnaire* a été mis en ligne le 7 mars et relayé sur les sites de structures représentatives qui sont associées à la Commission Jeunes Médecins. L’actualité – le suicide d’un jeune interne marseillais – a cruellement rattrapé la diffusion de cette enquête justifiant une fois de plus l’urgence, la nécessité et la légitimité de ce travail qui est la preuve de l’attention que l’Ordre porte aux jeunes confrères.

Pourquoi cette question de la santé des jeunes médecins est maintenant mise en avant alors que la santé des générations précédentes n’a pas été un sujet de communication pour l’Ordre des Médecins ?

J’anime la Commission des Jeunes Médecins depuis bientôt 3 ans et tous les participants se veulent surtout à l’écoute des jeunes, ce qui ne veut pas dire que l’Ordre ne l’était pas avant. L’état d’esprit a changé, aujourd’hui, les jeunes médecins sont tout sauf insouciants.

Nous disposons même d’un faisceau d’arguments qui laisse à penser que les jeunes sont davantage en souffrance que leurs aînés ou, du moins, qu'ils l’expriment plus. Il s’agit de toute évidence d’un changement générationnel en lien avec un stress plus prégnant, des incertitudes sur l’avenir, sur le futur mode d’exercice, sur le contenu de la formation initiale, sur les exigences de la société…

Nous avons choisi d’étudier des variables physiques, cliniques et psychologiques puisque c’est l’état de santé global qui nous intéresse. Aucune étude similaire d’une telle ampleur n’a été encore réalisée à notre connaissance en France.

Notre but était de ne pas se concentrer seulement sur le stress lié aux conditions de travail, un sujet pourtant particulièrement mis en avant ces dernières années par les structures syndicales. Des questions sur d'autres domaines – conditions de vie, flux migratoires, antécédents, consommations de médicaments et addictions… – vont permettre de faire un tour d’horizon environnemental global. Le questionnaire comprend aussi une autoévaluation de l’état de santé.

En outre, et compte tenu du grand nombre de répondants, cette étude va pouvoir permettre, sous couvert de l’anonymat, d'affiner les réponses en fonction de l’avancement dans les études, la spécialité choisie et de les recouper avec des questions telles que « êtes vous satisfait de votre choix de carrière ? », « avez vous exercé le droit au remords »…

Les réponses seront analysées en fonction de la spécialité et déjà nous avons constaté que certaines sont plus représentées que les autres parmi les répondants : médecine générale (par un effet de nombre), anesthésie réanimation, gynécologie obstétrique, psychiatrie… Il nous a paru nécessaire d'obtenir la photographie la plus précise possible de cette génération qui fera la santé en France dans les prochaines décennies.

À l'issue de cette photographie l’Ordre disposera d’un véritable état des lieux de la santé des jeunes médecins.

L’Ordre souhaite-t-il devenir un relais des préoccupations des jeunes médecins ?

L’enquête que nous avons mise en place a pour but – comme c’était aussi le cas de la Grande Consultation – de permettre à toutes les catégories de médecins de trouver au sein de l’Ordre une structure d’écoute libre, non stigmatisante et qui puisse relayer les doutes et les interrogations de la profession auprès des autorités sanitaires.

L’Ordre doit être l’interlocuteur de tous les médecins, et ce dès leur formation initiale. C’est l’esprit du compagnonnage. Avec les jeunes médecins, nous souhaitons que la relation qui a été mise en place reste partenariale, transversale et non hiérarchique. Parler à l'Ordre doit désormais devenir une manière d’être entendu.

Nous constatons que depuis quelques années, le lien entre les médecins et l’Ordre est plus naturel et que l’inscription n’est plus vécue seulement comme une obligation.

L’appropriation est lente mais réelle.

Propos recueillis par le Dr I. C.

Source : Le Quotidien du médecin: 9483
Sommaire du dossier