La santé des médecins

L’ergonomie pour limiter le burn out

Publié le 13/10/2014
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« Il n’est plus temps de se demander si le problème du burn out – en particulier des médecins – est fréquent dans les établissements sanitaires et médicaux sociaux. Il l’est ! Il est vraiment temps de modifier les organisations de travail que l’on sait particulièrement délétères », explique le Dr Madeleine Estryn-Behar.

Cet ancien PH en médecine du travail à l’AP-HP, docteur en ergonomie, s’intéresse depuis les années 1990 à la prévention de l’épuisement professionnel chez les soignants. C’est à elle et à son équipe que l’on doit les études PRESST et NEXT en 2003-2004 qui avait évalué la satisfaction des soignants au travail eu Europe à partir de près de 40 000 questionnaires. C’est aussi elle qui a mis en place l’étude SESMAT en France publiée en 2011 et à laquelle 3 196 médecins ont répondu.

« Mais depuis la parution de ces études, les choses bougent très lentement dans le domaine hospitalier. Pourtant, en France 42 % des médecins ont un score élevé de burn out et ce chiffre monte à 48 % pour les hospitaliers en CHU. Paradoxalement, plus de 80 % des médecins français sont fiers ou très fiers d’être soignants. Aujourd’hui, on connaît les freins au plaisir au travail et à la qualité des soins des médecins hospitaliers : difficultés organisationnelles, matérielles, spatiales, manque de soutien, augmentation des tâches administratives, manque de temps passé auprès des patients… Ce sont l’insuffisance du travail en équipe et le déséquilibre entre vie de travail et vie de famille qui sont les plus déterminants dans les analyses multivariées pour expliquer l’épuisement des paramédicaux comme des médecins. Réfléchir à l’ergonomie peut permettre d’accroître l’attractivité des métiers de soins, de fidéliser le personnel et in fine d’améliorer la qualité des soins », continue le Dr Estryn-Behar.

L’organisation des soins est tributaire de l’espace

« Un espace est fonctionnel seulement si sa surface est suffisante et l’organisation de son aménagement est étudiée pour répondre à l’activité. Mais il faut bien reconnaître que la structure des bâtiments peut limiter les possibilités d’utilisation et d’aménagement de l’espace », analyse le Dr Estryn-Behar.

Quelle que soit la configuration des services hospitaliers, des actions sont toujours possibles : travailler sur les revêtements de sol puisque les chutes et glissades sont la première cause d’arrêt en accident de travail en milieu hospitalier, limiter les déplacements en regroupant le matériel dans des lieux spécifiques, éviter les périples dans les couloirs en proposant par exemple des box de consultations proches des services (et non dans un bâtiment de consultations dédié), favoriser le travail assis et éviter les postures pénibles… L’ensemble de ces mesures améliore la qualité des soins puisque le temps passé auprès des patients et des équipes peut être majoré. Par ailleurs, des mesures d’hygiènes telles que le lavage des mains sont facilitées par un moindre nombre de déplacements.

« Il est aussi nécessaire de réduire l’exposition au bruit : 44,4 % des médecins hospitaliers en effet toutes spécialités confondues se déclarent exposés ou très exposés au bruit (57 à 72 dB le jour). Ce chiffre monte à 66,7 % en anesthésie réanimation et à 73 % aux urgences. Et au-dessus de 60 dB, le raisonnement complexe est perturbé. La généralisation des appareils de surveillance continue dans les services a induit une exposition permanente au bruit et une moindre attention aux alarmes qui pourtant sont là pour signaler de possibles dysfonctionnements », continue le Dr Estryn-Behar.

Enfin, une attention particulière doit être portée à l’éclairement : un éclairement de 500 Lux est en effet nécessaire pour la lecture des caractères de 1,5 mm à tout âge.

Favoriser le travail en équipe

Dès 2004, le Dr Estryn-Behar proposait en conclusion de l’étude PRESS-NEXT : « Afin de réduire la fréquence des départs prématurés des infirmiers comme des médecins, il est important d’améliorer les procédures de travail par le travail d’équipe multidisciplinaire pour réduire le stress et les événements indésirables. Des temps de concertation en particulier lors des transmissions sectorisées doivent être aménagés. Le tutorat entre les plus expérimentés et les novices dans chaque métier doit être favorisé. »

L’existence d’un collectif de travail solidaire permet de limiter le nombre des arrêts maladie, les départs et donc les remplacements impromptus de collègues absents.

« Avant tout, la qualité des transmissions est primordiale pour un bon partage de l’information. Une meilleure circulation de l’information réduit les interruptions dans les tâches qui font perdre du temps par des échanges brefs multipliés au détriment de la disponibilité auprès des patients. Enfin, le manque de discussion pluridisciplinaire ne permet pas suffisamment la construction de connaissances communes qui permet l’efficacité de l’équipe et de reconnaître des compétences de chacun », continue le Dr Estryn-Behar.

Redonner du temps aux soins

« Parmi les composantes à l’origine de score de burn out élevés chez les médecins, le sentiment de ne pas avoir assez de temps pour parler aux patients et l’existence de conflits entre le travail et la vie de famille sont mis en avant. Un grand nombre de praticiens expliquent en effet que, parce qu’ils ne passent pas assez de temps auprès de leurs malades, qu’ils sont englués par des tâches administratives, par une recherche d’information, de matériel et de lits d’aval, ils sont dans l’obligation d’effectuer des journées de travail particulièrement longues, de ramener du travail chez eux voire de devoir retourner à l’hôpital pendant leurs jours de congé. Or ce temps ne peut être trouvé au détriment de celui qu’ils passent avec leur famille », analyse le Dr Estryn-Behar.

En outre, les horaires extensifs et les changements de jours de travail avec un délai de prévenance court déséquilibrent la vie familiale. Enfin, ces horaires à rallonge majorent le risque de burn out et influent négativement sur l’hygiène de vie des médecins et des paramédicaux (sport, équilibre alimentaire, temps de pause et de sommeil).

Estryn-Behar M, Van der Heijden B, Oginska H et coll. The Impact of Social Work Environment, Teamwork, Characteristics, Burnout, and Personal Factors Upon Intent to Leave Among European Nurses. 2007, Med Care, 45, 939-950.

Estryn-Behar M, le Nezet O, Bonnet N, Gardeur P. Comportements de santé du personnel soignant. Résultats de l’enquête européenne Presst-Next Presse Med. 2006 Oct;35(10 Pt 1):1435-46.

Estryn-Behar M, Fry C, Guetarni K et coll. Work week duration, work-family balance and difficulties encountered by female and male physicians: results from the French SESMAT study. Work. 2011;40 Suppl 1:S83-100. doi: 10.3233/WOR-2011-1270.

http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/estrynbehar.pdf

Estryn-Behar M. Ergonomie hospitalière - Théorie et pratique. Octares Editions Toulouse 2011, 695 pages.

Estryn-Behar M. Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe. Presses de l’EHESP Rennes, 2008, 383 pages

Dr I. C.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9356
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