La santé des médecins

L'entretien thérapeutique avec un patient agressif

Publié le 27/10/2014
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Crédit photo : PHANIE

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Crédit photo : DR

« Les contacts avec des patients tendus et agressifs semblent de plus en plus habituels. Chaque fois qu’ils surviennent, le médecin vit une mise en danger, un sentiment de ne pas pouvoir répondre aux exigences premières de son métier et une véritable impuissance. Et lorsque ces situations se répètent ou qu’elles surviennent dans un contexte de stress, de manque de sommeil ou de terrain favorable au surmenage, elles peuvent entraîner le médecin vers un état de véritable burn out », analyse pour « le Quotidien » le Dr Jean-Louis Terra*, psychiatre responsable du centre de prévention du suicide au Centre hospitalier du Vinatier à Lyon.

« Il faut aussi dire que la conduite d’entretien avec un patient tendu et agressif n’est pas enseignée pendant les études de médecine, pas plus non plus que la négociation clinique avec les patients. Or ces deux composantes font partie de la vie quotidienne des médecins. On peut s’en protéger en étant un bon professionnel et en sachant, a priori, que toutes les personnes qui viennent chercher de l’aide auprès de la médecine ne sont pas forcement équilibrées : certains – ou leurs familles – s’adressent aux médecins par désespoir dans des situations sans solutions et parce que la médecine reste encore un lieu de sécurité. L’un des moteurs importants de l’agressivité c’est l’impuissance à comprendre, à accepter, à faire, à demander puisque l’on vient chercher des solutions impossibles auprès de son médecin. Ce dernier doit intégrer d’être dans la subjectivité c’est à dire que les bonnes raisons n’ont plus tellement de place, que la personne est envahie par les émotions, et qu’elle perd pied. Et plus elle va mal, plus elle – ou sa famille – exige des solutions rapides. »

5 étapes, 4 phases, des repères précieux

Pour assurer sa sécurité, le médecin doit apprendre à reconnaître les germes de la tension psychique et de l’agressivité. Les 5 étapes de la progression de l’agressivité doivent aussi lui être familières : questions, négociations, émotions, intimidation et passage à l’acte.

Enfin, le médecin doit s’approprier les bases de négociation cliniques avec un patient tendu et agressif. Tout cela permet un canevas d’évaluation de l’état mental de la personne et d’anticiper les dégradations possible de relation d’aide médicale.

« Globalement, l’entretien avec un patient tendu peut être divisé en quatre phases : phase passionnelle, phase d’entendement, phase de raison, et phase de démoralisation. La connaissance de ces phases est un précieux repère pour prendre en charge les situations critiques. Elle permet au médecin d’avoir en tête une ligne directrice pour ses propos et lui donne, en quelque sorte, une longueur d’avance. Néanmoins, même en déroulant un entretien adapté à la situation, un accès de violence peut survenir car de nombreux facteurs d’agressivité sont hors de notre contrôle. C’est pour cette raison que les praticiens doivent savoir écouter leur peur et ne pas hésiter à se mettre à l’abri lorsque la situation leur parait hors de contrôle. Il ne s’agit pas d’un renoncement à sa fonction soignante de médecin », explique le Dr Terra.

La phase passionnelle

C’est une phase très intense, le plus souvent courte. Elle est déclenchée par un événement de haut niveau émotionnel pour la personne. La nature de l’événement est très variable et la réaction peut paraître disproportionnée. Pour le médecin, cette phase est souvent associée à un sentiment d’insécurité qu’il faut savoir écouter d’autant plus que la discussion est généralement difficile voire impossible.

Le patient est tendu ou agité, son regard est insistant. Il accompagne son propos qui est vif voire menaçant par des gestes d’intention (pointer du doigt par exemple). La parole est accélérée, précipitée.

« Durant cette phase, la vigilance et la patience sont les maîtres-mots. Il s’agit d’observer et d’écouter, ce n’est pas le temps du dialogue. C’est un moment privilégié pour collecter des informations », fait valoir le Dr Terra.

La phase d’entendement

L’excitation commence à diminuer, le discours est plus pondéré, moins brutal. La voix change, elle est moins passionnée. Le patient peut donner plus d’informations mais il pense toujours maîtriser la situation. On assiste toutefois à l’émergence d’une réflexion.

Pour le Dr Terra, « c’est le moment de mettre en place un dialogue et de l’entretenir pour qu’il ne s’éteigne pas. Mais prendre en compte les exigences ne veut pas dire forcement y répondre. C’est une phase où l’on doit assurer aussi des besoins essentiels à la discussion : s’asseoir, boire un verre d’eau… ».

La phase de raison

C’est à ce moment que le patient devient moins mobile. Le volume, le ton et le débit de la voix se normalisent. La discussion devient plus ouverte. Une certains clairvoyance de la situation peut émerger et parfois le patient peut envisager des solutions pour sortir de sa situation d’échec.

« C’est le moment de négocier avec loyauté et sans précipitation. L’objectif est de faire pressentir au patient qu’il peut y avoir une voie de sortie, la tête haute. Le chemin pour y parvenir fait appel aux concessions. Le patient doit être mis en face des faits et seulement des faits. En cas de nécessité de soins, il peut vivre cette proposition comme une reddition », continue le Dr Terra.

La phase de démoralisation

Conséquence du stress, de l’épuisement, souvent de l’insomnie, cette phase peut représenter un moment de danger car elle peut renvoyer le patient à une phase émotionnelle. La voix devient lasse, les propos peuvent devenir suicidaires.

Comme le précise le Dr Terra, « la vigilance doit rester de mise. La couverture des besoins vitaux est fondamentale. Le fait que la personne devienne suicidaire, qu’elle n’ait plus rien à perdre peut la rendre encore plus dangereuse. C’est à ce stade qu’une situation qui paraissait maîtrisée peut brutalement basculer dans un acte de dangerosité élevée ».

* Jean-Louis Terra, CH Le Vinatier, SHU psymobile et centre de prévention du suicide

Dr I. C.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9360
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