LE QUOTIDIEN – Les négociations conventionnelles sur l’encadrement des dépassements d’honoraires vont démarrer le 25 juillet. Quel en est l’objectif ?
MARISOL TOURAINE – Les dépassements d’honoraires ont flambé au cours des dernières années. De plus en plus de médecins spécialistes pratiquent des dépassements et certains de ces dépassements sont de plus en plus importants. Le nombre de médecins qui dépassent est minoritaire – un sur quatre seulement est concerné. L’écrasante majorité des généralistes respecte les tarifs opposables. Il n’empêche, il y a des territoires dans lesquels il est devenu quasiment impossible de trouver un médecin au tarif opposable. Ce constat impose d’agir.
Cette négociation est pour moi très importante. Parce que la négociation est la démarche générale de ce gouvernement. Parce que je crois également – et les contacts que j’ai eus avec les syndicats me confortent dans cette conviction – que les médecins n’ont rien à gagner à la dérive actuelle. Ils sont, comme moi, préoccupés et souhaitent que les Français puissent consulter dans de bonnes conditions. Ce sentiment partagé doit permettre une négociation ambitieuse et réussie.
Les médecins et l’Assurance-maladie ont eu le plus grand mal à s’entendre pour créer après plusieurs années de discussion le secteur optionnel. Pourquoi pensez-vous pouvoir faire mieux ?
Le secteur optionnel était un mauvais dispositif à la fois parce qu’il sélectionnait les spécialités, mais aussi parce qu’il faisait du dépassement la règle, la norme. Nous devons aller vers une régulation d’ensemble. Les médecins voient que les Français n’acceptent plus ces dérives et sont exigeants, agacés, parfois même en colère. Le jugement des Français est quelque chose dont chacun doit tenir compte.
Les futurs médecins sont particulièrement inquiets de leur sort. Pouvez-vous les rassurer ?
Les jeunes médecins ou les futurs médecins redoutent qu’on leur demande d’assumer des dérives passées dont ils ne sont pas responsables. Je ne veux pas que ces futurs médecins portent seuls la réorganisation de notre système et je souhaite que leurs représentants puissent assister aux discussions.
Je crois à la négociation, pas à la coercition. Et je voudrais que cette négociation se fixe deux objectifs. Le premier, c’est de mettre fin aux tarifs manifestement abusifs. Pour cela, il faut que les négociateurs se mettent d’accord sur des critères définissant ce qu’est un « tarif abusif » et arrêtent des sanctions.
Est-ce la fin du tact et mesure ?
Non. Mais le tact et la mesure sont interprétés de manière trop diverse. Il est temps de préciser la signification de cette formule qui, depuis quelques années, est devenue synonyme d’« arbitraire ». Ensuite, il faut des sanctions pour se prémunir contre les dérapages (1).
Voilà pour le premier objectif, essentiel pour moi parce qu’il envoie un signal d’exemplarité à un moment où les Français sont eux-mêmes soumis à des contraintes. L’exemplarité doit être de mise partout et pas uniquement du côté des responsables politiques ou des dirigeants d’entreprise.
Le second objectif de la négociation, c’est d’engager une régulation permettant de limiter les dépassements d’honoraires. C’est le point de départ d’une réorganisation plus profonde.
Si un médecin sur quatre pratique des dépassements d’honoraires, cela veut dire que trois sur quatre ne le font pas : c’est aussi avec ceux-ci qu’il faut travailler. Il faut dire aux médecins de premier recours ou aux médecins de secteur I que leur travail est essentiel et qu’ils sont la colonne vertébrale de notre système de santé.
Je souhaite que nous puissions aller vers un contrat. Un contrat d’accès aux soins qui montre que les professionnels, les médecins, sont prêts à s’engager dans une limitation de leurs dépassements. Il appartiendra à la négociation de déterminer les termes de ce contrat, de faire en sorte que chacun ait intérêt à s’y engager, sous le regard, encore une fois, des Français.
En cas d’échec de la négociation, c’est vous qui rédigerez ce contrat ?
À ce moment-là, ça risque de ne plus être un contrat ! À partir du moment où nous ne sommes plus dans la négociation, nous sommes dans la loi. Et la loi s’impose. Je le dis : j’assumerai la responsabilité qui est la mienne parce que c’est ce que les Français ont demandé, et c’est ce qu’ils attendent conformément aux engagements du président de la République. Je ne veux pas aujourd’hui envisager l’échec de la négociation. Tout le monde a intérêt à son succès.
Je ne fais pas la réforme contre les médecins, je la fais pour les patients. Et je sais que chaque professionnel a en tête l’intérêt des patients. Notre système de santé est confronté à des défis majeurs. En termes de déficit, de qualité de l’organisation, d’égalité d’accès aux soins… Face à ces défis, nous devons faire preuve d’audace. Je lance un appel à l’audace collective et à l’audace partagée.
Croyez-vous que les complémentaires, qui ont refusé de s’engager dans de précédentes discussions, vont entendre votre appel ?
Les complémentaires ont refusé de s’engager dans un processus qui, au fond, leur mettait le pistolet sur la tempe. Et qui revenait à dire « on grave dans le marbre la réalité des dépassements d’honoraires ». Je veux rompre avec cette logique. Le secteur optionnel doit être remplacé. Les complémentaires me semblent attentives à permettre la régulation de notre système de santé et à ce qu’on aille vers la mise en place d’une plus grande opposabilité.
Lors de la campagne présidentielle, des voix se sont élevées pour demander la suppression du secteur privé à l’hôpital. Y êtes-vous favorable ?
Il est vrai que la question des dépassements d’honoraires ne concerne pas seulement la médecine de ville. Elle touche aussi l’exercice privé à l’hôpital dont chacun connaît les spécificités. Je vais donc mettre en place une mission, présidée par une personnalité indépendante, qui évoquera les conditions d’exercice en secteur privé à l’hôpital. Les dépassements d’honoraires sont un enjeu important. Les délais d’attente pour obtenir une consultation privée ou publique également.
Selon certaines indiscrétions émanant de votre ministère, le maintien à son poste du directeur de l’UNCAM est directement lié au succès de ces négociations. Vous confirmez ?
Le directeur de l’UNCAM est un homme de grande qualité et je lui fais toute confiance pour mener à bien ces négociations.
(1) « La sanction doit pouvoir aller jusqu’à ce qu’on appelle le déconventionnement […] pendant une période donnée », a précisé Marisol Touraine sur Europe 1.
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