Les syndicats de médecins libéraux, l’assurance-maladie et les complémentaires santé entament ce mercredi, à 9h30, une énième négociation sur les dépassements d’honoraires. Le gouvernement a prévenu : sans résultat concret sur l’encadrement des dépassements, il légiférera dès l’automne. Enjeux, acteurs et clés d’une négociation compliquée.
• État des lieux : poids du secteur II... et faiblesse chronique des tarifs de secteur I
Les dépassements ont plus que doublé au cours des vingt dernières années, passant de 900 millions d’euros à environ 2,5 milliards en 2011 (dont 2,1 milliards facturés par les spécialistes), soit 12 % du total des honoraires médicaux. Mais contrairement aux idées reçues, la masse financière globale des dépassements est stable depuis plusieurs années.
Un médecin sur quatre peut aujourd’hui facturer des dépassements dans le cadre du secteur II (avec tact et mesure). Cette proportion est néanmoins très variable puisque le secteur II concerne 7 % seulement des généralistes, 42 % des spécialistes libéraux (toutes disciplines confondues, en cabinet ou clinique) mais 79 % des chirurgiens. Les spécialistes qui s’installent aujourd’hui le font majoritairement en secteur II.
Le montant moyen des dépassements progresse : il est passé de 25 % du tarif de la Sécurité sociale en 1990 à 54 % en 2010 et 56 % en 2011. En réalité, les dépassements sont particulièrement élevés dans quelques centres urbains et départements : ils atteignent 150 % du tarif Sécu à Paris et dans les Hauts-de-Seine, 110 % dans le Rhône, près de 90 % en Alsace et 80 % dans les Alpes Maritimes. Dans une vingtaine de départements, le dépassement moyen est inférieur à 25 % du tarif Sécu.
Ces chiffres, volontiers mis en avant par le gouvernement, ne sont cependant qu’un aspect du dossier. La montée en puissance du secteur II (malgré les restrictions d’accès depuis les années 90) a correspondu à un enlisement général des tarifs opposables aboutissant à des « valeurs » remboursées qui ne correspondent plus du tout à la réalité économique de l’exercice libéral.
• Les objectifs du gouvernement, les enjeux
Chargée de mettre en œuvre l’engagement de François Hollande sur l’« encadrement » des dépassements, Marisol Touraine a fixé la feuille de route politique de la négociation qui s’ouvre mercredi et devra durer trois mois au maximum (en gros d’ici à la discussion parlementaire sur la loi de financement de la Sécu).
En pratique, l’ertsatz de secteur optionnel instauré in extremis par Xavier Bertrand pour les spécialistes de bloc opératoire en secteur II volontaires (sous la forme d’un élargissement de l’option de coordination) est enterré. « Il convient de lui substituer un dispositif différent », explique Marisol Touraine dans sa lettre de cadrage des négociations.
Deux objectifs sont fixés aux partenaires. Le premier est de « mettre un terme » d’ici à la fin 2012 aux abus manifestes. Pour cela, il conviendra à la fois de caractériser explicitement ces abus (et donc ne plus se contenter de la notion trop floue de tact et mesure) et de définir les « modalités concrètes » de sanctions. La Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) prépare depuis quelques semaines un dispositif de pénalités plus efficace et plus rapide, pouvant aller jusqu’au déconventionnement. Paradoxalement, cet objectif (définition/sanction des abus caractérisés) ne sera pas le plus compliqué à atteindre au regard de la minorité de praticiens concernés.
Le deuxième objectif est plus complexe puisqu’il s’agit de définir un « nouveau contrat » d’accès aux soins en favorisant l’accès aux tarifs Sécu ou à des tarifs dits maîtrisés (avec un « niveau de dépassement limité », indique la ministre). L’idée est que la totalité des médecins de secteur II (et non plus les seules spécialités de bloc) s’engagent durablement sur la régulation individuelle et collective de leurs dépassements (selon des modalités à négocier), avec probablement des conséquences financières pour les médecins qui refuseraient ce type d’engagement.
Au-delà de ces deux objectifs, le gouvernement admet qu’il faudra travailler « dans la durée » sur la rémunération des actes et des soins médicaux, afin de réduire le fossé qui s’est creusé entre la valeur des actes et les possibilités limitées de remboursement des caisses. Mais les syndicats ne se contenteront pas de déclarations d’intention. Pour eux, aucun accord ne sera possible sans revalorisation immédiate des tarifs de base de secteur I. Et plusieurs organisations refusent toute atteinte au secteur II actuel.
À noter que le secteur privé des médecins hospitaliers fait l’objet d’une mission distincte.
• Les principaux acteurs, les clés de la négociation
La première séance, ce mercredi matin, à 9 H 30, au siège de la CNAM devrait être une réunion de cadrage (rappel des objectifs et enjeux, premier tour de table, éléments de calendrier, forme des négociations...). Les choses sérieuses commenceront à la rentrée.
Le directeur de l’assurance-maladie, Frédéric van Rœkeghem, qui joue gros sur ce dossier, sera une nouvelle fois seul aux manettes mais le gouvernement suivra de près cette négociation très politique.
Côté médecins, on retrouvera les délégations des cinq organisations déclarées officiellement représentatives (CSMF, MG France, SML, LE BLOC et FMF). Les syndicats de jeunes praticiens (internes de médecine générale, de spécialités, chefs de clinique, jeunes généralistes, remplaçants...) ont également été conviés par la CNAM en tant qu’observateurs (six délégations « jeunes » sont attendues mercredi).
Sollicités pour prendre en charge tout ou partie des dépassements plafonnés, les organismes complémentaires santé seront évidemment à la table des négociations dans le cadre de l’UNOCAM (qui réunit les trois familles - mutuelles, assurances privées et institutions de prévoyance). En revanche, les associations de patients ne participent pas directement aux discussions.
Les partenaires sont-ils capables de s’entendre alors que le sujet empoisonne les discussions conventionnelles depuis 2004 ? Ce sera l’accord ou la loi, a prévenu Marisol Touraine.
À la veille de l’ouverture des négociations, la pression, en tout cas, est montée d’un cran. Plusieurs syndicats ont mis l’accent sur le blocage interminable de certains tarifs opposables, l’explosion des charges professionnelles, le coût des techniques innovantes. Le message est clair : tous les paramètres devront être considérés, la négociation ne saurait se résoudre à une mise en cause du secteur II.
Le BLOC, majoritaire au sein des praticiens de plateaux techniques, s’interroge déjà sur « la volonté de faire aboutir les négociations ». Il appelle à une revalorisation significative du tarif opposable des actes indispensables, corrélé à un effort des complémentaires pour solvabiliser des dépassements. Et le SML avertit de son côté qu’il « ne négociera jamais d’encadrement du secteur II ».
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